CHAPITRE XXXII - BUNDLE EST STUPÉFAITE
— Oui, fit Battle, tandis que Mosgorovsky se levait d’un bond pour s’approcher de la jeune fille ; donnez-lui une chaise car elle a éprouvé une émotion violente.
Eileen se laissa tomber sur son siège ; elle se sentait tout étourdie par la surprise.
Battle continua à parler de la manière calme qui lui était habituelle :
— Vous ne vous attendiez pas à me voir, lady Eileen ? Il en est de même de quelques-uns de ceux qui sont assis autour de cette table. Mr Mosgorovsky a été, en quelque sorte, mon lieutenant, dans toute cette affaire et il a été constamment au courant de tout ; mais la plupart de nos autres affiliés ont reçu des ordres de lui.
Bundle continuait à se taire. Elle était – chose absolument extraordinaire pour elle – muette d’étonnement.
Battle parut comprendre son état d’esprit et lui fit un signe de sympathie, puis il reprit ;
— Vous serez obligée, lady Eileen, de vous défaire d’une ou deux idées préconçues. Par exemple, au sujet de cette société que vous avez cru être, comme dans les livres, une organisation secrète de criminels, ayant à sa tête un mystérieux super-criminel que nul ne voit jamais. Des groupements de cette espèce existent peut-être en réalité, mais je ne puis qu’affirmer que je n’en ai jamais rencontré et j’ai pourtant assez d’expérience… Cependant, il y a de nombreuses aventures de par le monde, lady Eileen. Les hommes, en particulier les jeunes gens, se plaisent, non seulement à en lire le récit, mais surtout à les vivre. Je vais vous présenter maintenant à une bande de conspirateurs amateurs qui ont fait un excellent travail pour mon service, un travail que personne d’autre qu’eux n’aurait pu faire. Ils ont peut-être choisi un costume mélodramatique. Pourquoi pas ? Ils se sont montrés prêts à affronter des dangers réels, des dangers de la pire espèce et ils l’ont fait pour deux raisons : l’amour du péril en lui-même, ce qui est, à mes yeux, fort honorable en ces temps d’égoïsme… et le désir de servir leur pays.
Je vais donc vous présenter, lady Eileen, tout d’abord Mr Mosgorovsky, que vous connaissez déjà jusqu’à un certain point. Ainsi que vous le savez, il dirige le club ainsi qu’une quantité d’autres entreprises. C’est notre plus précieux antibolcheviste en Angleterre. Le n°5 est le comte Andras, de l’ambassade hongroise, ami très intime de feu Mr Gerald Wade. Le n°4 est Mr Hayward Phelps, journaliste américain, qui a une grande sympathie pour les Anglais et qui possède un flair incomparable. Le n°3…
Il s’interrompit en souriant et Bundle, stupéfaite, reconnut Bill Eversleigh.
— Le n°2, reprit Battle d’une voix plus grave, le n°2 n’est plus ; sa place était celle de Mr Ronald Devereux, un galant homme qui est mort pour son pays. Le n°1 était Mr Gerald Wade, un autre homme à l’âme généreuse dont le sort a été semblable. Sa place a été prise – malgré de fortes craintes de ma part – par une dame qui nous a prouvé qu’elle était capable de la bien remplir et qui nous a apporté une grande aide.
Le n°1 fut le dernier à lever son masque et Bundle ne fut pas très étonnée de contempler le beau visage de la comtesse Radzky.
— J’aurais dû deviner, fit-elle avec un peu d’humeur, que vous saviez trop bien personnifier la belle aventurière pour en être vraiment une.
— Mais vous ignorez encore ce qu’il y a de mieux dans cette plaisanterie, dit Bill. Bundle, la comtesse Radzky, c’est Babe Saint-Maur. Vous vous souvenez que je vous ai dit quelle merveilleuse actrice elle était… elle a prouvé que mon opinion était exacte !
— Peut-être, déclara miss Saint-Maur avec la plus pure intonation nasale, mais je n’y ai pas eu grand mérite, car Poppa et Momma étaient originaires d’Yurrup et je n’ai pas de peine à attraper l’accent. Pourtant j’ai failli me trahir à l’Abbaye, lorsque j’ai parlé de jardins…
Elle s’interrompit, puis ajouta brusquement :
— Ce que j’ai entrepris n’a pas été pour moi une plaisanterie… J’étais presque fiancée à Ronny et, lorsqu’il a été tué, j’ai voulu faire tout ce que je pouvais pour démasquer le misérable qui l’avait assassiné… Voilà tout !
— Je suis complètement désorientée, fit Bundle. Tout est si différent de ce que je croyais.
— C’est pourtant fort simple, lady Eileen, expliqua le surintendant Battle. Au début, les jeunes gens voulaient simplement s’amuser un peu. C’est Mr Wade qui, le premier, est venu me trouver ; il m’a proposé la formation d’une bande qui prêterait un peu son aide au Service Secret. Je l’ai prévenu que cela pouvait être dangereux, mais il n’était pas de ceux qui font entrer en ligne de compte une crainte comme celle-là. Je lui ai dit nettement que tous ceux qui voudraient s’affilier à cette organisation devraient se pénétrer de l’idée que leur vie était en péril… mais cet avertissement n’était pas de nature à retenir les amis de Mr Wade. Voilà comment les choses commencèrent.
— Mais quel but cherchiez-vous à atteindre ? demanda Bundle.
— Nous voulions arrêter un homme… nous le désirions beaucoup. Or, ce n’était pas un criminel vulgaire et il opérait justement dans le milieu auquel appartenait Mr Wade ; c’était un émule de Raffles, mais infiniment plus dangereux que Raffles lui-même.
Il recherchait les grosses affaires, surtout les affaires internationales. Deux fois déjà des inventions secrètes importantes ont été dérobées et, manifestement, par quelqu’un qui possédait, à ce sujet, des renseignements circonstanciés… Des professionnels avaient essayé… et ils avaient échoué. Alors les policiers amateurs essayèrent à leur tour… et ils ont réussi !
— Ils ont réussi ?
— Oui, mais pas sans y laisser de victimes. L’individu était dangereux : il a tué deux hommes sans être inquiété. Mais les Sept Cadrans se sont obstinés et, comme je vous l’ai dit, ils ont atteint leur but. Grâce à Mr Eversleigh, le misérable a été pris en flagrant délit.
— Mais qui était-ce ? demanda Bundle. Est-ce que je le connais ?
— Vous le connaissez fort bien, lady Eileen. Il s’appelle Jimmy Thesiger et il a été arrêté cet après-midi.